Quels facteurs liés au gerris permettent sa flottaison ?

Découvrons le rôle de l'anatomie du gerris dans sa flottaison

Introduction

Comme nous l'avons vu auparavant, de nombreuses forces interagissent sur la flottaison du gerris, son poids, la poussée d'Archimède de l'air et la tension superficielle.
Toutes ces forces permettent au gerris de flotter mais malheureusement ne suffisent pas. Comme nous l'avons démontré; il faudrait au gerris une surface de contact entre ses pattes et l'eau d'une longueur de 26,9 cm pour que l'équilibre des forces soit respecté. Il doit donc avoir un autre facteur qui permet d'équilibrer ces forces.

Ayant fait le tour de toutes les forces suceptibles d'influencer la flottaison du gerris, nous nous tournons à présent vers l'anatomie du gerris. Celle-ci doit avoir une particularité spécifique pour permettre la flottaison du gerris.
Pour la découvrir nous avons pensé en premier lieu à étudier les pattes du gerris et en effet ces dernières sont particulières. Nous vous laissons découvrir à la suite de cette page quelle est cette particularité qui permet au gerris de "flotter" sur l'eau.


Observation des pattes du gerris

Il nous est malheureusement impossible de faire une analyse microscopique des pattes pour l’examiner, car aucun individu actif n’était présent lors de cette période. Nous décidons donc d’examiner ses pattes à partir des données sur internet ou dans des magazines.

une patte de gerris

Nous voyons bien que les pattes sont composées de deux parties : le tibia, avec un diamètre plus large que les tarses, qui sont en contact avec la surface de l’eau. Les pattes ont environ un diamètre de 0.1 mm d’après le site entomologique d’André Lequet (nous n’avons pas pu réaliser les mesures nous-mêmes).

On peut apercevoir des poils sur toute la longueur des tibias et des tarses. L’extrémité des pattes velues est complétée par des griffes qui lui sont utiles pour chasser ses proies, on les négligera donc dans notre démarche. Ce sont les poils des pattes qui permettent au gerris de se mouvoir.

griffe de gerris

D’abord, les scientifiques pensaient que les poils sécrétaient une substance hydrophobe, c’est-à-dire une huile ayant une densité moindre par rapport à l’eau. Elle améliorerait donc la capacité de flottaison du gerris.
Cependant, après l’analyse des poils à un niveau nanométrique, les chercheurs peuvent affirmer que c’est la structure de ces poils qui fait flotter le gerris.

poils d'une patte de gerris

Photo d’une microscopie électronique à balayage des poils du gerris
(The hydrodynamics of water-walking arthropods, par DAVID HU et JOHN BUSH, dans Journal of Fluid Mechanics, 2010)

En effet, leur répartition et leur taille, permettent de créer un « coussin d’air » au bout de chaque patte ce qui amène le gerris à être séparé de l’eau : il flotte. Cette théorie est le fruit des recherches de deux scientifiques chinois, Xuefeng Gao et Lei Jiang qui ont publié leur article dans la revue internationale « Nature », et qui a été repris et explicité en francais dans le quotidien Libération par Pierre Haski le 19 novembre 2004 dans l’article « Le secret de l’araignée » :

« Xuefeng Gao et Lei Jiang, deux chercheurs de l'Académie des sciences de Pékin, viennent de publier dans la revue Nature le résultat de leurs recherches : en fait, ces araignées flottent littéralement, séparées de l'eau par de minuscules coussins d'air. Ils ont trouvé que les pattes de ces insectes sont dotées de millions de soies microscopiques et hydrophobes, mesurant de quelques nanomètres à trois micromètres, c'est-à-dire invisibles sans un matériel sophistiqué, tous avec la même orientation. Chaque poil comprend une rainure encore plus minuscule, de la taille de quelques milliardièmes de mètres, qui permet de «piéger» de l'air, selon la formule des chercheurs.
Ainsi les araignées ne touchent jamais l'eau, dont la surface se comporte comme un mince film plastique : soutenue par ces coussins d'air microscopiques qui la repoussent littéralement, chaque patte déforme la surface de l'eau, en «creusant» des petites cavités sans jamais la percer, et donc sans jamais se mouiller... »

Mais comment des coussins d’air peuvent-ils apparaître à l’extrémité des poils ? Quel phénomène physique explique cette théorie ?


Les pattes du gerris sont super-hydrophobes

Avant de s'intéresser précisément aux pattes du gerris, il nous paraît interéssant de définir qu'est ce que l'hydrophobie et la super-hydrophobie.

Définition

Quand une surface est hydrophile, cette surface est capable de créer des affinités avec l’eau. L’hydrophobie est la capacité d’une surface à ne pas s’imprégner d’eau. Il faut néanmoins différencier l’hydrophobie et la super-hydrophobie qui elle consiste à “rejeter” l’eau, c’est-à-dire quand une surface est extrêmement difficile à mouiller.

goutte d'eau sur surface hydrophobe

L’hydrophobie est un phénomène physico-chimique car un composé hydrophobe n’a pas de capacité à créer des liaisons hydrogènes (liaisons de cohésions) avec la molécule d’eau (H2O). Ce composé est alors dit “apolaire” : le barycentre des charges positives et celui des charges négatives sont confondus (exemple de la molécule de droite), contrairement à la molécule d’eau (molécule de gauche) :

barycentre

Ce composé ne peut donc pas créer de liaisons électrostatiques avec l’eau, car la molécule d’eau étant polaire (c’est à dire le barycentre des charges négatives et celui des charges positives ne coïncident pas), elle cherche à interagir avec d’autre molécules polaires. Un composé hydrophobe ne peut donc pas interagir physiquement avec les molécules d’eau.

On peut remarquer que pour les figures présentées récemment, la tangente à chaque goutte d’eau a un angle de contact différent avec le support. L’hydrophobie est donc reliée à la mouillabilité d’une surface.

Qu'est ce que la mouillabilité d'une surface ?
goutte d'eau

Nous remarquons que lorsqu’une goutte d’eau est posée sur une surface plane, elle s’étale différemment en fonction des supports. L’angle de contact du liquide, nommé est l’angle entre la surface de contact du liquide et la tangente à la goutte au point de contact.

  • Quand = 0°, la goutte s’étale entièrement sur le support : on dit que le liquide est mouillant car la surface de contact entre le solide et le liquide est maximale. On dit que la surface est hydrophile.
  • Si < 90°, la surface de contact entre le support et le liquide est grande, la surface est donc mouillable et aussi hydrophile.
  • Si 90° < < 150°, la surface est dite hydrophobe car la surface de contact entre le liquide et le support est faible : la goutte d’eau ne s’étale pas et la base s’écrase plus ou moins sur la surface qui est dite non-mouillante.
  • Si > 150°, la surface est super-hydrophobe car elle n’a aucune affinité avec l’eau.

L’angle de pénétration des pattes du gerris dans l’eau est d’environ 170°. Cela répond donc au principe de la super-hydrophobie, que nous allons maintenant étudier plus en détails.


La super-hydrophobie

Deux hypothèses ont été formulées pour le principe de super-hydrophobie : le modèle de Wenzel et le modèle de Cassie-Baxter. Le modèle de Wenzel suit l’appellation de “gouttes empalées” et celui de Cassie correspond à “l’état fakir”. Il est admis que de la présence d’une rugosité augmente la surface d’un solide.

modèles cassie et Wenzel

Le modèle Wenzel admis en 1936

Pour le modèle Wenzel, la goutte d’eau suit la rugosité du support. La goutte “s’empale” alors sur les aspérités: l’eau pénètre dans les micro rugosités. Cependant, cet état n’est pas entièrement vérifié dans un cas hydrophobe car il resterait de l’air piégé dans les cavités rugueuses, lorsque la rugosité est trop importante. Ce modèle sera donc privilégié lorsque la surface contient peu d’aspérités et qui est modérément hydrophobe : en effet, quand la goutte suit la surface du solide peu rugueux, l’énergie de l’interface liquide-solide est faible, et donc moins énergétique que la création de poches d’air sous la goutte (cf modèle Cassie-Baxter).

Le modèle Cassie-Bexter admis en 1944

Dans le cadre du modèle de Cassie, la goutte n’épouse pas la forme de la rugosité du support mais elle reste au sommet des aspérités. Cela s’explique par la création de coussins d’air dans les aspérités, sur lesquelles la goutte reposerait : elle “flotte” donc sur un mélange de solide et d’air (en glissant sur un tapis d’air et d’aspérités), et accentueraient de ce fait l’hydrophobie. On parle d’état “fakir” comme le fait un fakir qui repose sur les clous. Ce modèle est observable pour un support très rugueux, car il devient plus favorable au niveau énergétique de créer des poches d’air. C’est donc le cas de la super-hydrophobie qui est observable sur plusieurs organismes de la nature, comme le gerris ou la feuille de lotus (tous deux sont basés sur le même principe).

Pour résumer, le lotus est très représentatif du modèle de Cassie : étant une surface hydrophobe et très rugueuse, les gouttes d’eau reposent alors sur les micro-structures de la feuille, glissant ainsi sur celles-ci, comme les coussins d’air.

feuille de lotus avec goutte d'eau

C’est le même phénomène qui s’applique pour le gerris. Nous avons vu précédemment que les recherches de Xuefeng Gao et Lei Jiang les avaient mené à la conclusion que “chaque poil comprend une rainure encore plus minuscule, de la taille de quelques milliardièmes de mètres, qui permet de «piéger» de l'air”.
Ce sont donc ses poils qui, avec leur micro-structures et leur surface rugueuse permettent la super-hydrophobie des pattes du gerris. Elle s’applique selon le modèle de Cassie.

Avec ces recherches, nous pouvons affirmer qu’en réalité le gerris ne flotte pas “directement” sur l’eau mais il repose sur une très fine pellicule d’air qui lui permet de glisser à la surface de l’eau.

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